Ce soir, le laquais A. délaisse son cynisme ordinaire pour devenir (un soir seulement) Aurore, en état de grâce. Attention les gueux, ce soir je suis lyrique.
La féministe Christine Delphy est de passage à Montréal et a donné une conférence à la Grande Bibliothèque, conférence brillante, joyeuse, cynique parfois, totalement inspirante, intitulée « le mythe de l’égalité déjà-là : un poison ». La salle était pleine à craquer : une majorité de nanas (j’en reconnais certaines que je fréquentais l’an dernier quand j’étais impliquée dans des groupes militants), deux trois gars paumés.
Je m’avance près de la scène, Christine Delphy commence sa conférence, je dépose discrètement mon enregistreuse sur son pupitre. Je remonte les escaliers quatre par quatre, j’écoute. J’écoute celle qui s’est impliquée dans le MLF, j’écoute celle qui parle de domination hommes/femmes, de reproduction d’une société inégalitaire, du matraquage médiatique fait à l’encontre des féministes d’hier et d’aujourd’hui. Elle cite mi cynique, mi amusée tout le flot de paroles à la con que les féministes ont pu entendre depuis les années 70 : Elizabeth Badinter, ex féministe, qui dit en gros que « le féminisme a été utile en son temps, il ne l’est plus maintenant »… Elle cite un article de Françoise Giroud paru dans Le Monde en 76 « les voiles flasques du féminisme ». Elle explique qu’on est passé du déni à la dénégation. Je jubile sur mon fauteuil, d’une parce que cette femme est brillante et de deux parce que je pense au moment où je vais pouvoir diffuser à l’antenne l’intégralité de sa conférence. Elle poursuit sur l’exploitation domestique et sur les « stratégies d’occultation de la violence ». Elle cite même Florence Foresti entre deux démonstrations. Cette femme est géniale.
Comme à 15 ans, où tu conchies l’humanité tout entière et que tu trouves Nietzsche, Desproges, Cioran, et que tu jubiles en lisant enfin quelque chose qui te ressemble. Christine Delphy, c’est ce que je souhaiterais entendre dans la bouche de toutes les femmes.
Je pense à tous ces billets que j’ai laissés sur différents blogues, où immanquablement on attribuait mes propos cyniques et provocateurs à…un homme. Il y a deux jours encore, j’écrivais sur un blogue montréalais que les femmes célibataires n’avaient pas à jouer le rôle de « gouvernante/domestique » moderne auprès de leurs amis en couples avec gamins. Un type qui souhaitait probablement sauter plus vite l’auteure du blog m’a traitée de misogyne !!! Moi ! Celle qui pleure presque de joie en écoutant une des théoriciennes du féminisme contemporain !!!
Je pense à Woody Allen et à Annie Hall, et cette scène grandiose où il s’avance vers un couple dans la rue et leur demande mi désespéré, mi candide « comment ils font pour être ensemble ». Et là, génial, les deux passants répondent en substance qu’ils ne réfléchissent pas trop et que c’est très bien ainsi.
Je pense à Agnès Jaoui que j’adore, je la revois dans « Un air de famille », ce monument, accoudée au comptoir de son frère « Riri » : elle boit « comme un homme », elle parle « comme un homme », ses T-Shirts « dépassent de son pantalon » : « j’m’en fous si ça fait pas joli ». Le genre de films dont on rêverait d’avoir écrit les dialogues.
Je revois cette scène d’une ironie totale : moi debout dans le métro écrivant ces lignes à côté d’une nana qui porte un sac « Esthiderma- Paris ». Je lève les yeux au ciel me disant que la vie est décidément une farce.
Je pense à Sophie, avec laquelle j’ai écrit des textes que nous avons distribués l’an dernier dans des conditions rocambolesques, textes qui disaient que les femmes étaient simplement devenues des consommatrices comme les autres. Mais qu’au-delà de ce statut de participante active au système capitaliste, les représentations et les rôles sociaux des femmes n’avaient pas changé.
Je pense à Aurélie de Bordeaux, avec qui je discute jusqu’à pas d’heure au téléphone, passant de discussions hyper sérieuses sur les rapports de subordination entre hommes et femmes à des fous rires intenses en pensant, en bonnes anthropologues que nous sommes, aux couples que nous connaissons. Tous ces couples qui transpirent les rapports de domination, ces types universitaires pseudo-progressistes, voire pseudo anar, que nous avons vu traiter leur compagnes comme des sous-merdes : la fille ne dit rien, le type pavane, il a le monopole du discours. Elle a le monopole de la spectatrice « douce » et « attentive ». Elle a juste le droit de lui servir sa bière à son retour du travail, ou de demander « si on peut ouvrir les livres dans les librairies ».
Je pense à ma mère qui portait en son temps des T-Shirts orange où figurait une casserole noire barrée. Je sais de qui je tiens…
« Mais elle nous les brise avec ces « je pense » ». C’est vrai, et ce soir mes ami-E-s, je suis ravie.
5 commentaires:
Ah, c'est chouette cet article avec plein de "je pense que(ue)", quand le laquais s'affranchit de sa condition. Même si le féminisme, ça me dépasse un peu. Mais pas Cioran à 15 ans, hi hi. (Ni Florence Foresti, mais faut pas le dire). Ni les "va me chercher une bière".
Du coup je vais me (te/nous/leur) servir un verre de rouge.
Santé.
Ô que oui, mon cher, ce ne sera pas du "jus de goyave".
Prost l'affranchi!
A.
Vazy, toi, "affranchi", juste en verbe, pas en substantif, chuis pas un timbre avec la gueule à Marianne eud'dssus.
(Et je ne vois pas ce qu'Alain vient faire dans cette histoire).
A la tienne.
Merci Aurore!
Ah, la subtile différence entre les femmes comme il faut et les femmes comme il en faut(drait plus)...
Vivement décembre que nos conversations téléphoniques se transforment en conversations réelles + écriture....
Pour finir sur Françoise Giroud, dont je lis en ce moment-même Les Françaises, De la Gauloise à la pillule, une cht'tite citation très vraie dans mon boulot :
"La femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente."
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